La classe moyenne a une double personnalité, il me semble. Elle travaille fort, quoiqu‘on en dise. Mais je pense qu‘elle s’ennuie. Elle passe son temps au centre d‘achats. Elle achète des affaires sans arrêt et se console en se comparant avec d‘autres qui sont plus dépensiers qu‘elle. Elle rit beaucoup de son beau-frère qui passe son temps dans les rénos. Il vient de se patenter tout un cinéma maison dans le sous-sol qui lui a coûté je ne sais pas combien de 1000 piastes, avec l‘écran plasma de 748 pousses pis les La-Z Boy pis les gros subwoofers. Qu‘est ce qu‘il a fait quand il a eu terminé? Il a regardé un bon film? Non, il s‘est mis à construire une pergola dans la cour. Il veut mettre un spa dans un gazebo aussi. La classe moyenne dit: le temps que ça soit fini, ça va être l‘automne.
Elle rit, elle rit, mais bien souvent, elle fait pareil. L‘autre jour, elle a eu envie de se remettre à cuisiner. Elle est allée s‘acheter une batterie italienne à 600 piastres aux Promenades Saint-Bruno. Elle a passé l‘après-midi à essayer de la faire rentrer dans ses armoires, elle s‘est mise à rêver de refaire la cuisine au complet, elle a regardé des cuisines jusqu‘au soir sur son iPad, pis elle a fini par ranger la nouvelle batterie au sous-sol et se faire livrer du St-Hubert.
Le sel de la terre, Samuel Archibald, Atelier 10, 88 pages, 2014.
Des poupées et des jouets entassés en vrac dans un grand bac en tissu, bradés à 50 %. Rien ne manifeste mieux leur fonction de pur signe de la fête. Celle-ci passée, les Barbies et les Kitty sont restées les mêmes, elles ont juste perdu leur valeur de fête. Personne ne farfouille dans cette poubelle de jouets neufs. Pourtant, on pourrait y trouver à moindre coût une poupée, une panoplie à offrir pour un anniversaire, voire le Noël prochain. Le déclassement des jouet en objet de rebut rebute. C‘est la grande distribution qui fait la loi dans nos envies. Aujourd‘hui la galette des Rois et le linge de maison, décliné de la housse de couette au torchon, constituent le programme des convoitises.
Exposant, comme nul part autant, notre façon de vivre et notre compte en banque. Nos habitudes alimentaires, nos intérêts les plus intimes. Même nos structure familiale. Les marchandises qu‘on pose sur le tapis disent si l‘on vit seul, en couple, avec bébé, jeunes enfants, animaux.
Regarde les lumières mon amour, Annie Ernaux, Seuil, 72 pages, 2014.