Le premier roman de Noémie D. Leclerc m’a totalement enivrée. J’ai adoré la fraîcheur qui s’en dégage. Surtout, ce roman contraste avec tous ceux qui mettent de l’avant une jeunesse qui se noie dans la complaisance, qui se gratte le nombril jusqu’à ce qu’il saigne, qui fuit l’ennui et le désoeuvrement dans les pilules et la poudre. Ici, la légèreté flotte sur une grande profondeur. L’écume des jours, version québécoise, n’est pas loin…
Ce long extrait parle de lui-même:
Elle avait choisi le Normandin sans le choisir vraiment. C’est le seul restaurant pas trop loin de Montmorency qui fait des pains dorés à toute heure du jour, du soir et de la nuit. L’éventualité lui était alors apparue comme une fatalité. C’est tant mieux parce que Darlène aime pas choisir. Elle laisse ça aux autres et quand les autres veulent rien savoir, elle laisse ça au hasard et quand le hasard veut rien savoir, elle trouve toujours le moyen de lui forcer la main. Quand elle avait dix ans, le frère de son grand-père est décédé. Il s’appelait Jean-Pierre. Elle connaissait son existence, pouvait mettre sur les lettres de son nom un visage et un bronzage Fort Lauderdale, une bague en or à son annulaire, et des cheveux blancs sur sa tête, mais pouvait pas dire à quel point il aimait les fraises ou dormir du côté droit. Un soir ordinaire où elle est revenue à pied de l’école primaire, sa mère lui a dit mononcle Jean-Pierre est mort. Figée dans le cadre de porte, sa boîte à lunch dans une main et son devoir de mathématiques dans l’autre, elle a pensé si je réussis à rester en équilibre sur une jambe pendant dix secondes, je pleure pas. Si je tombe, je pleure. Et elle est tombée. Darlène a fait sécher ses yeux grands ouverts jusqu’à ce que les larmes coulent toutes seules. Sa mère, qui en même temps qu’elle découvrait sa grande sensibilité, l’avait réconfortée d’un baiser, de paroles douces et d’une soupe Lipton avec des biscuits soda beurrés. Mononcle Jean-Pierre est mort d’un cancer du poumon à l’âge de cinquante-huit ans, et il fumait même pas.
Le style de la primo-romancière a de quoi faire pâlir de jalousie plusieurs auteurs établis. La voix unique et chantante de Noémie D. Leclerc a su m’enchanter. Empreint d’une couche de culture populaire, Darlène a les deux pieds bien ancrés dans son temps.
Je ne verrais plus jamais le Normandin de la même manière, ni la chute Montmorency. Et je retiens qu’il est toujours pratique de savoir nager! À déguster comme une tranche de pain doré noyée sous une bonne couche de sirop d’érable. Ne passer pas devant ce roman sans vous arrêter.
Darlène, Noémie D. Leclerc, Québec Amérique, 2018, 232 p.
Il est en train de passer trop inaperçu, ce roman… Pourtant, il est vraiment à découvrir!
Une curiosité pour moi 😉 C'est noté.
Définitivement! Une excellente surprise. Je la suivrai de près…
Pour une fois que j'entends parler de ce livre de vive voix avant de lire le billet à ce sujet .. En tout cas, une bonne lecture ça fait du bien 😉