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Des romans inoubliables et quelques-uns déjà oubliés

Library. Pile of books indoor

Malgré mon éclipse de plusieurs mois, je n’en ai pas pour autant moins lu. Au contraire, je me suis lâchée lousse. Le temps que je n’aie pas pris pour consigner mes impressions de lecture, je l’ai passé à lire. Histoire de garder des traces, un survol des histoires qui ont accompagné mes jours s’impose.

J’ai passé une grande partie de l’été en compagnie des mots de Karl Ove Knausgaard. Une fois plongée dans son Combat, je n’étais plus arrêtable. Les six tomes ont défilé. Au total, c’est quatre mille cinq cents pages lues. J’ai tendance à être excessive sur les bords. Quand j’embarque dans quelque chose, j’y vais à fond. Arrivée au sixième tome, je me suis essoufflée, voire lassée. J’ai eu l’impression que l’essayiste prenait le pas sur le romancier. Reste que cette œuvre monumentale m’a jeté à terre. Au-delà des faits relatés, c’est l’honnêteté sans fard de l’homme, la manière dont il se raconte, qui ont retenu mon intérêt. Comment un homme devient qui il est, se construit à partir des choix et des rencontres qu’il fait. Impressionnant!

Ce roman tombait à point. J’ai énormément appris sur la Russie d’hier et d’aujourd’hui, sur les mécanismes du pouvoir. J’ai saisi ce que nous, Nord-Américains, représentons pour Poutine. J’ai compris pourquoi le dialogue était impossible entre la Russie et l’Occident. Un premier roman éclairant, accessible et d’une grande intelligence.

Les Russes ne seront jamais comme les Américains. Cela ne leur suffit pas de mettre de l’argent de côté pour s’acheter un lave-vaisselle. Ils veulent faire partie de quelque chose d’unique. Ils sont prêts à se sacrifier pour ça. Nous avons le devoir de leur restituer une perspective qui aille au-delà du prochain versement mensuel pour la voiture. Ce qu’il faut, c’est l’unité. Un mouvement qui redonne de la dignité aux gens.

Crois-moi, la seule chose que tu peux contrôler c’est ta façon d’interpréter les événements. Si tu pars de l’idée que ce ne sont pas les choses, mais le jugement que nous portons sur elles qui nous fait souffrir, alors tu peux aspirer à prendre le contrôle de ta vie. Sinon tu es condamné à tirer sur des mouches avec un canon.

Le mage du Kremlin, Giuliano da Empoli, Gallimard, 2022, 288 p.

Rating: 4 out of 5.

Tous les ingrédients pour concocter un roman à mon goût sont réunis ici: une histoire coup de poing bien ficelée, un style incomparable, des personnages bien en chair. Et dire que Leila Mottley n’avait pas encore vingt ans lorsqu’elle a écrit son premier roman. Quand la bonté et la loyauté arrivent à rester vivantes malgré la pauvreté et la violence, on se dit que tout n’est pas perdu.

Arpenter la nuit, Leila Mottley, trad. Pauline Loquin, Albin Michel, 2022, 416 p.

Rating: 4 out of 5.

Le Jonathan Franzen des Corrections et de Freedom m’avait manquée. Avec Crossroads, je le retrouve en grande forme. Cette histoire de famille détricotée avait tout pour me plaire: des personnages plus grands que nature, dont chaque membre est examiné au microscope, découvrant leurs failles et leurs faiblesses. Au centre de l’histoire: la famille Hildebrandt (un pasteur, sa femme et leurs trois enfants). Ça se passe dans la banlieue de Chicago, au cœur des années 70. C’est tantôt drôle, tantôt poignant, rempli d’ironie. Je crois que ce que j’apprécie le plus, chez Franzen, c’est la façon dont il entremêle la grande et la petite histoires au point de rendre vivant ce qu’il décrit. J’attends les deux autres tomes de cette trilogie avec impatience.

Il n’avait pas une patience infinie face au narcissisme mélodramatique des adolescents et à leur tendance, encouragée par Crossroads, à transformer des égratignures émotionnelles en traumatismes méritant un transport en ambulance. Lui-même était contrarié, mais sa culpabilité l’autorisait à l’être, et bien qu’ayant demandé à écouter tout le monde, parce que c’était dans les usages de Crossroads, il lui était pénible de se trouver dans un monde de réelle injustice sociale, de réelle souffrance, et de faire tout un plat du vol de deux guitares aisément remplaçables par les parents de leurs propriétaires.

Crossroads, Jonathan Franzen, trad. Olivier Deparis, De l’Olivier, 2022, 704 p.

Rating: 4 out of 5.

Dans un premier temps, l’objet m’a attirée. Les illustrations de Tom Haugomat ont éveillé mon admiration. Puis est vite venue la lecture du roman. J’ai eu un coup de foudre instantané pour le jeune Titou et son grand-père bourru. Canadèche et son appétit gargantuesque m’a bien fait rire. Au final, c’est un immense coup de cœur que j’ai éprouvé pour ce roman qui met du baume au coeur. Il est rare de trouver autant de candeur dans un roman sans pour autant tomber dans la mièvrerie.

Fup (L’oiseau Canadèche), Jim Dodge (texte) et Tom Haugomat (illustrations), trad. Jean-Pierre Carasso, Tishina, 2021, 264 p.

Rating: 5 out of 5.

Ce roman est passé sous le radar. On en a très peu, voire pas du tout entendu parler. C’est ce roman qui me pousse à revenir par ici. D’abord pour te dire qu’il vaut la peine de s’y attarder et de prendre le temps de le lire. Ensuite parce qu’il me prouve l’importance de faire un retour sur mes lectures sous peine de tout oublier. Je suis incapable de te tracer les grandes lignes, et pourtant, je l’ai adoré, ce roman! Je n’ai jamais été une bonne conteuse, mais là, c’est pire que pire! Je n’ai pas de mémoire et, non, ce n’est pas à cause de mon âge. Une construction faite de voix alternées, une mère époustouflante, un portrait anti-carte postale de la vie à Cuba. C’est tout ce qui me revient. C’est mince, mais c’est un peu mieux que rien!

Tomber, Carlos Manuel Alvarez, trad. Eric Reyes Roher, 2022, 168 p.

Rating: 4 out of 5.

L’intrigue de ce roman canadien a piqué ma curiosité. Une gang de jeunes filles se retrouve dans un camp de vacances. Cinq filles, accompagnées d’une monitrice, partent en kayak. Le plan? Aller camper sur une île. N’est-ce pas excitant? Mais voilà que l’expédition tourne au cauchemar.

Les chapitres alternent entre la progression de l’expédition et le présent de chacune des jeunes filles, devenue adulte. Au-delà de l’intrigue captivante, c’est la construction du roman que j’ai trouvé particulièrement ingénieuse. De découvrir comment un traumatisme vécu dans l’enfance affecte de différentes façons ceux qui l’ont vécu. Une fois terminé, je me suis empressée de lire le premier roman de Kim Fu, For Today I Am a Boy. C’est un fait: je veux la suivre de près!

Cinq filles perdues à tout jamais, Kim Fu, trad. Annie Goulet, 2022, 378 p.

Rating: 4 out of 5.

Après la lecture de Avec toutes mes sympathies, j’étais curieuse de découvrir le deuxième roman d’Olivia de Lamberterie. Je l’ai lu d’une traite, en une fin de semaine. Mais voilà: quelques mois plus tard, je serais bien en peine de dire quoique ce soit sur ce roman. C’est simple, je ne me souviens de rien. Mes petits post-it me rafraîchissent un peu la mémoire.

Le grand public n’achète plus que des romans doudous promettant «good feelings» et «résilience», sinon il allume Netflix pour se vautrer dans des séries aux univers impitoyables et aux ignobles héros, allez comprendre. Les écrivains doivent livrer leurs chagrins «sans pathos», l’époque a horreur du pathos, tolère la douleur seulement si c’est «la lumière» qui gagne – quelle plaisanterie! -, la lecture doit être un passe-temps, une distraction.

La vie n’est qu’un jeu de regards, épier, scruter, admirer, se détourner ou fixer, assassiner ou caresser des yeux, et peut-être qu’écrire ou lire n’est rien d’autre que regarder ce que les autres ne veulent pas voir.

Levez vos yeux de votre nombril, enjoint Anna à ses filles, même si elle sait qu’à l’adolescence les histoires infimes et intimes valent des odyssées qui remplissent la vie entière. Regarder son prochain comme soi-même, ce n’est pas si bête comme conseil, les gens ont de la merde dans les yeux, cultiver le goût des autres, qui ne vous ressemblent pas, d’un avis, d’un milieu, d’une génération différente. L’entre-soi dessèche.

Comment font les gens? Olivia de Lamberterie, Stock, 2022, 280 p.

Rating: 2 out of 5.

J’ai abandonné Conversations entre amis. J’ai abandonné Normal People. Je me suis dit «Jamais deux sans trois». J’ai lu toutes les pages de Où es-tu, monde admirable? Je n’arrive pas à comprendre l’engouement pour les écrits de Sally Rooney, voire la vénération qu’on lui voue. Je suis au diapason avec Nelly Kaprièlian, qui a signé dans Les Inrockuptibles un article… pas piqué des vers.

Où es-tu, monde admirable? Sally Rooney, trad. Laetitia Devaux, De l’Olivier, 2022, 384 p.

Rating: 1 out of 5.

25 comments

  1. Sympas tous ces petits retours ! J’aime beaucoup le format court et direct qui donne une bonne idée de ton ressenti et du livre. Il n’en faut pas plus 😉 je n’en ai lu aucun mais j’aimerais découvrir à mon tour Arpenter la nuit.

    1. Moi aussi, j’apprécie ce format court. Mais j’aimerais l’allongé un peu dans l’avenir. Ma mémoire me jouant des tours, je souhaite me souvenir un peu plus du contenu et pas seulement du ressenti. Quant à Arpenter la nuit, c’est une excellente découverte, tant pour la voix que pour l’histoire en elle-même. Je te souhaite de belles et bonnes lectures en cette nouvelle année.

  2. Je suis ravie de voir que certains de mes presque coups de cœur sont partagés !
    Quant au Sally Rooney, je l’ai trouvé plus abouti que Normal People et j’ai un peu compris ce qui plait tant chez elle… mais étant passé par la même réaction que toi, je comprends tout à fait !

    1. J’étais curieuse de découvrir tes coups de coeur de l’année et j’avoue que le Voyage en territoire inconnu de David Park serait de circonstance (hiver québécois oblige) et me tente beaucoup. Quant à Sally Rooney, je reste fière de m’être rendue au bout de cette troisième tentative. Reste que je comprends encore mal, quoiqu’un peu plus, ce qui attire tant dans ses romans.

      1. Le Sally Rooney n’en fait pas partie, même si j’ai apprécié, à ma grande surprise. Quant au David Park, il est d’autant plus beau que long à se révéler. Il ne se livre pas facilement et reste hermétique un moment avant que la magie n’opère ! Donc oui, je te le conseille 🙂

  3. Eh bien ça valait le coup d’attendre ! Mais ça fait beaucoup de titres à noter… je vais commencer par le Franzen, car j’ai moi aussi adoré Les corrections et Freedom. Et je viens de terminer Une douce lueur de malveillance, noté ici si je me souviens bien (j’ai beaucoup aimé :)).

    1. Tout n’est pas à noter, loin sans faut! Par contre, si tu as, comme moi, adhéré aux Corrections et à Freedom, tu retrouveras la même ambiance familiale complexe et riche. Pour ce qui est du roman de Dan Chaon, tu m’en vois ravie. Tu passes beaucoup en temps en Amérique, ces temps-ci?

      1. Non, j’en ai passé pas mal en fin d’année, notamment avec L’arbre-monde de Richard Powers, énorme coup de cœur, Betty de Tiffany McDaniel, qui m’a un peu déçue, l’excellent essai de Casey Cep sur le manuscrit perdu de Harper Lee, le très bon mais très troublant (ou très bon CAR très troublant) Lady Chevy de John Woods…

        Le Chaon est le dernier billet étatsunien que je publie avant un petit moment : je prépare les lectures de l’Holocauste fin janvier et le Mois latino (je suis d’ailleurs plongée dans Amour, Colère et Folie de Marie Vieux-Chauvet, noté ici, encore !!)..

        1. Ton sens de l’organisation m’impressionne toujours autant.
          Il faut que j’aille voir du côté de cette Lady Chevy. Tu m’intrigues…
          J’espère que tu passes en bon moment en compagnie de Marie Vieux-Chauvet.

  4. J’adore ce format court aussi ! Comme toi j’ai adoré Arpenter la nuit, elle m’a vraiment impressionné par rapport à son âge et la qualité de sa plume. Je note Fup qui m’intrigue. Je n’ai encore jamais lu Sally Rooney mais je garde un très bon souvenir de la série télé Normal People.

    1. Faute de temps et de souvenirs estompés, le format court est ma meilleure option par les temps qui courent!
      Arpenter la nuit est en effet une excellente découverte. La qualité de sa plume m’a fortement impressionnée. Un premier roman d’une rare qualité.
      Quant à Fup, on ne peut qu’être profondément touché par cette histoire. Après, de se laisser porter par les illustrations relève du pure plaisir.
      Maintenant, pour Sally, tu sais ce que j’en pense. Même pour la série. Il faut croire que je n’étais pas dans de bonnes dispositions pour m’ouvrir à son univers…

    1. Si tu apprécies Franzen, tu ne seras pas déçue par celui-ci. Et en plus, il s’agit d’une trilogie. Bonheur à l’horizon!

  5. je souris pour le dernier roman, car tu m’as vu le dévorer … dans ton jardin ! Moi je suis totalement sous le charme de Sally car elle rentre dans la tête des gens, enfin du moins, dans la mienne car je pense que je vois les choses comme elle ? je crois qu’on est ici dans l’intrinsèque ou quelque chose comme ça. Sinon, j’ai reconnu les autres dont tu m’as tant parlé, et tu es gentille de ne pas dire le nombre de livres lus…

    1. Eh oui, tu l’avais dévoré en direct sous mes yeux et je me faisais un devoir de le lire suite à ton enthousiasme visible.
      C’est certain que si tu as une même vision que Sally, ça aide. En même temps, c’est étonnant qu’on s’entende si bien et qu’entre moi et Sally, ça ne passe pas!
      Pour le reste, il en manque encore. Je n’ai pas terminé de rédiger! Je scinde en catégories!

  6. Quel plaisir de te revoir par ici !
    De tes dernières lectures je n’ai lu que le Leila Mottley, quel incroyable premier roman! Le premier tome de Karl Ove Knausgaard est dans ma pal depuis un moment, il serait temps que je l’en sorte!
    Je te souhaite une belle et bonne année 2023, en espérant pouvoir te relire à nouveau plus régulièrement.

    1. Merci de ton passage. J’espère reprendre en 2023, avec plus d’assiduité, mes petites traces de lectures.
      Je suis ravie de constater à quel point le roman de Leila Mottley n’est pas passé inaperçu. Ses grandes qualités ont été reconnues par plusieurs d’entre nous. Quant au Combat de Karl Ove, c’est une grosse entreprise qui, au même titre que La recherche de Proust (que je n’ai pas lue), demande un investissement qui se révèle très fructueux au final.
      Je te souhaite également une magnifique année 2023 xxx

  7. Je note d’emprunter le premier de Karl Ove Knausgaard à la médiathèque, et tu as éveillé mon intérêt avec ton retour sur Le mage du Kremlin ! L’oiseau canadèche, tu donnes trop envie de s’y plonger ! Et d’ouvrir le roman Tomber.

    Bravo d’avoir tenté le dernier Sally Rooney ! J’admire la chance que tu as obstinément laissé à cette jeune autrice. Comme tu le sais, moi j’accroche. Normal people est celui que j’ai le moins aimé des trois, mais celui-ci m’a beaucoup plu, «même si» quelques trucs. Néanmoins, je remarque avec les lectures des romans de Sally Rooney que l’enthousiasme ressenti à la lecture s’effrite à mesure que les semaines passent, et que finalement je ne m’en rappelle plus grand chose assez rapidement. Je lirai le suivant – j’espère juste qu’elle va changer ce registre du je t’aime mais en fait je ne peux pas t’aimer, pour des motifs à la con, qui m’a particulièrement agacée dans celui-ci, quand même.

    1. Ma recommandation à la suite à ces propositions de lecture: explore et hume plutôt que de noter. Ainsi, tu risques moins de déceptions!
      Parmi tous tes choix de lectures, je reste étonnée de ton affection pour Sally Rooney, mais je ne saurais expliquer clairement pourquoi. Dommage que l’enthousiasme s’effrite après lecture. Je demeure curieuse de voir comment elle évoluera comme créatrice…

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