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Le poids du monde · David Joy

Ma première rencontre avec l’univers de David Joy a eu lieu en 2016, avec Là où les lumières se perdent. Ce roman m’avait laissé une très forte impression. Je m’en souviens encore, comme si je l’avais lu hier. Aussi, j’attendais son deuxième roman sur la pointe des pieds et… la marche était haute. Mes appréhensions étaient infondées. Le poids du monde résonne aussi fort.

Ça se passe à Little Canada, un bled paumé situé en Caroline du Nord. Aiden et Thadsont amis comme cochons depuis l’enfance. Aiden est seul au monde, orphelin, sans frère ni soeur. Il vit avec Thad dans un vieux mobile home cabossé, à deux pas de la maison d’April, la mère de Thad. Une chance que Thad est là pour Aiden. Être là, c’est vite dit. Depuis qu’il estrentré d’Afghanistan, il n’est plus le même. Lorsqu’il n’est pas gelé comme une balle, les images de la guerre viennent le hanter. April, elle, met tout en oeuvre pour quitter ce lieu maudit. Ils en arrachent, chacun à leur façon. Si Aiden et April tentent désespérément de garder la tête hors de l’eau, Thad, lui, s’enfonce de plus en plus profond. Ils n’ont rien à perdre. Aussi bien foncer et prendre des risques. Si certains parviendront à s’échapper de leur puits sans fond, d’autres s’y noieront. C’est presqu’écrit dans le ciel.

Le rural noir, ce n’est pas ce qui manque ces temps-ci dans le paysage littéraire. Et ce n’est pas ce qui manque chez madame Couette. À force, je commence à faire la fine bouche. Avec Le poids du monde, j’ai trouvé chaussure à mon pied. Le deuxième roman de David Joy plonge dans la grosse misère – psychologique, affective, sociale. L’atmosphère est noire, d’un noir abyssal, sidérant. La scène d’ouverture, d’une violence inouïe, met la table. Comme dans Là où les lumières se perdent, il n’y a rien de pastel, ici. Les personnages de David Joy se démènent pour garder la tête hors de l’eau. La vie ne leur a jamais fait de cadeaux et ce n’est pas prêt de changer. Même si l’amitié est tricotée serré, la loyauté vacille et la solitude est viscérale. 

Elle bougea la tête jusqu’à ce qu’elle trouve une position confortable et demanda: «Et si tu pouvais avoir tout ce que tu voulais sur terre, qu’est-ce que tu choisirais, mon chou?» Il ne répondit pas immédiatement, et elle ne tarda pas à rêver. «Une famille, dit-il finalement. Une famille.» Mais elle dormait déjà et ne l’entendit pas.

David Joy parvient à extraire l’humanité enfouie tout au fond de ses personnages. Le regard qu’il porte sur ce qui l’entoure est empreint d’une bienveillance qui attise l’empathie. Porté par des personnages forts, incarnés, terriblement humains, Le poids du monde m’a bouleversée.

David Joy décrit, sans tomber dans le misérabilisme, des rapports humains complexes, tendus. L’implacable et désespérante réalité des Appalaches est servie par une écriture sobre, sans éclat superflu. L’atmosphère rurale en devient tangible: les montagnes, les chemins de terre sinueux, la poussière et la rouille. Un roman âpre et abrasif. Une histoire de paumés magnifiques comme je les aime. Beau et douloureux.

Le poids du monde, David Joy, trad. Fabrice Pointeau, Sonatine, 2018, 320 p.

Rating: 5 out of 5.

28 comments

  1. il faut que je lise ce Joy – bizarre ses livres m'échappent des mains, je vais corriger ça mais comme toi le roman rural noir américain – j'en ai tellement lu que je fais fine bouche aussi !

  2. Le David Joy m'est tombé des mains au bout de quelques dizaines de pages, je le reprendrai plus tard (et pourtant le polar rural, je suis ultra fan, presque à créer une nouvelle rubrique sur mon blog)

  3. Je me demande si le Joy n'est pas trop sombre pour moi. Peut-être son premier roman serait-il plus indiqué pour commencer, qu'en penses-tu ? Je note le deuxième titre sur mes tablettes. Belle semaine de lecture, dis donc !

  4. Très réussi, je suis entièrement d'accord. Et tu verras que son premier roman l'est tout autant! Un auteur à suivre de près…

  5. Je crois qu'il serait préférable que tu découvres David Joy avec son premier roman, un peu moins déprimant. Après, tu verras ce que tu es capable de prendre!

  6. Tu peux m'expliquer comment ça se fait qu'il te soit tombé des mains? C'était dans ta phase molle de lectures? Connaissant tes goûts (très bons, en passant!), je suis vraiment étonnée.

  7. \»Le poids du monde\», \»Là où les lumières se perdent\»… Je trouve que ses titres sont magnifiquement bien trouvés. Et ils collent tellement bien au contenu. Difficile de demander mieux!

  8. Tu dois impérativement remédier à la situation! David Joy est un auteur fabuleux. Devant mon enthousiasme débordant, tu vas peut-être être plus critique?!

  9. Quel dommage… Si son premier roman t'a laissé sur le bord de la route, je pense qu'il en sera de même pour son deuxième. Au suivant, alors…

  10. Pareil pour moi. J'adore David Joy, son univers, ses personnages… Je trépigne d'impatience: à la fin de l'été paraîtra son troisième roman!

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